Yvette Guilbert

Illustre dans le champ de la chanson montmartroise, Yvette Guilbert est autrice, compositrice et interprète. Elle œuvre dans les cafés-concerts de Bruxelles, Lyon et Paris, héritiers des cafés-spectacles de la Révolution et des goguettes de la Restauration, « institution d’amusement quotidien des parisiens[1] » qui connaissent leur apogée entre 1880 et 1900 et occasionnent les critiques les plus vertes à l’égard de la bourgeoisie montante et au pouvoir. La censure y est particulièrement sévère, la réglementation correspondant à la particularité de ces lieux, à la fois débit de boisson et théâtre[2], et les formes qui s’y développent relèvent de différentes scènes, du cirque à celle de la Salpêtrière[3]. Creuset et vivier formel, faisant de la censure et de la moralisation des mœurs de la société de la fin du XIXe siècle son beurre, les cafés-concerts sont des lieux de professionnalisation pour les interprètes où se croisent différents niveaux de vedettariat, relativement, en outre, à la géographie des lieux, qui s’altère en fonction du quartier, plus ou moins populaire.
La renommée d’Yvette Guilbert est aujourd’hui surtout adjointe aux différentes images qui ont été données d’elle. Elle reste dans les mémoires comme la fine diseuse aux gants noirs, immortalisée par Henri de Toulouse-Lautrec[4], liée au cabaret du Chat-Noir et à son humour pince-sans-rire. Or non seulement du point de vue des textes défendus que de l’esthétique de ses numéros de chant, l’actrice déploie un geste que l’on pourra qualifier de féministe, tout en s’inscrivant dans une industrie du spectacle parisien précarisant les artistes interprètes, fabriquant d’éphémères vedettes. Développant une carrière internationale, pourtant autrice de livres pertinents sur l’art du jeu, la pérennité du geste d’Yvette Guilbert joue à la marge des études théâtrales. Le situer dans ce champ c’est faire valoir les différentes dimensions relatives à l’histoire culturelle et à l’histoire des formes telles qu’elles se renégocient à la Belle Époque.
[1] Eva Kimminich, « Chansons étouffées. Recherche sur les cafés concerts au XIXe siècle », Politix, vol. 4, n°14, 1991. p. 19-26. Consulté le 3 mars 2020. doi : https://doi.org/10.3406/polix.1991.1449.
[2] Concetta Condemi, Les cafés-concerts, histoire d’un divertissement, 1845-1914, Paris, Édima, 1992.
[3] Rae Beth Gordon, De Charcot à Charlot. Mises en scène du corps pathologique [2001], Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Le Spectaculaire Cinéma », 2013.
[4] De fait, la seule exposition monographique qui lui est consacrée est organisée en partenariat avec le Musée Toulouse-Lautrec d’Albi : Yvette Guilbert, diseuse fin de siècle, Musée Toulouse-Lautrec, Albi, [30 septembre-16 novembre 1994], Musées d’Aix-en-Provence, [Pavillon de Vendôme, 25 novembre 1994-29 janvier 1995], Bibliothèque nationale de France, [9 février-1er avril 1995], Albi, Musée Toulouse-Lautrec ; Aix-en-Provence, Musées d’Aix-en-Provence ; Paris, Bibliothèque nationale de France, 1994.
Petite bibliographie
- Sources
L’Art de chanter une chanson, Paris, Grasset, 1928.
Autres temps, autres chants, préface de Béatrix Dussane, Paris, Robert Laffont, 1945.
La chanson de ma vie, Paris, Grasset, coll. « Les Cahiers rouges », 1995.
Comment je suis devenue auteur, Conférence 1er décembre 1934.
Comment on devient une étoile, Paris, P. Dupont, 1893.
Les Demi-vieilles, Paris, F. Juven, 1902.
Dix chansons du XVIIIe siècle, Paris, Heugel, 1929.
La Passante émerveillée : mes voyages, Paris, Grasset, 1929.
La Vedette, Paris, H. Simonis Empis, 1902.
Guilbert Yvette, Simpson Harold, Yvette Guilbert, struggles and victories, London, Mills and Boon, 1910.
- Sources indirectes
Bac Ferdinand, Femmes de théâtre, préface d’Yvette Guilbert, Paris, H. Simonis Empis, s. d.
Geffroy Gustave, Yvette Guilbert, orné par Toulouse-Lautrec, Paris, 1894.
Georges-Michel Michel, En jardinant avec Bergson…, Paris, Albin Michel, 1926.
Laforgue Jules, Les derniers vers de Jules Laforgue : des fleurs de bonne volonté, le Concile féerique, derniers vers, Tours, Deslis Frères, 1890.
Latour Joseph, Yvette : fantaisie fin de siècle, Paris, Nouvelle librairie parisienne, A. Savine, 1891.
Makower Stanley V, On the art of Yvette Guilbert, The Yellow book, vol. IX, april 1896.
Moustier Yvonne, « Deux époques : deux états d’âme. De la chanson au jazz… [Yvette Guilbert, Dranem, Eugénie Buffet, Mayol, etc.] », in l’Ami du peuple du Soir, 28 mai-27 juin 1929.
- Ressources critiques
Brunschwig Chantal, Klein Jean-Claude, Cent ans de chanson française, Paris, Seuil, 1972.
Brécourt-Villars Claudine, Yvette Guilbert l’irrespectueuse, Paris, Plon, 1997.
Cachin Françoise, Favier Jean, Yvette Guilbert, Diseuse fin de siècle, Paris, Albi, Bibliothèque Nationale de France, Musée Toulouse-Lautrec, 1994.
Devynk Danièle, Guégan Stéphane, Toulouse-Lautrec. L’Expo, Paris, Réunion des Musées Nationaux, coll. « Rmn albums expositions », 2019.
Hanke Helmut, Yvette Guilbert: die Muse von Montmartre, Henschelverlag, Berlin, 1974.
Knapp Bettina, Chipman Myra, That was Yvette, the biography of Yvette Guilbert, the great diseuse, New York, Chicago, San Francisco, Holt, Rinehart and Winston, 1964.
Ziegenmeyer Annette, Yvette Guilbert : Pionierin einer musikalischen Mediävistik zum Hören, Köln, Dohr, coll. « Musicolonia », 2013.
Principaux articles consultés
Dutheil-Pessin Catherine, « Chanson sociale et chanson réaliste », Cités, n° 19, 2004, p. 27-42. DOI : 10.3917/cite.019.0027 ; « La chair de nos souvenirs ; voix et chansons populaires », Revue internationale de psychosociologie, n°18, 2002 ; « Y. Guilbert, la presse, son image, sa carrière », Actes du colloque Presse, chanson et culture orale au XIXe siècle. La parole vive au défi de l’ère médiatique, Université Paul Valéry Montpellier III, 9-11 octobre 2008, Valenciennes, Presses Universitaires de Valenciennes, 2010.
Gouspy Carol, « La représentation des chanteuses au café-concert : les genres de la romancière comique et de la diseuse », Volume, n°2, 2003, p. 27-39. DOI : 10.4000/volume.2218.
Mei Silvia, « La ligne d’Yvette Guilbert, La mise en silhouette comme dispositif de vision et technique de distinction » in European Drama and Performance Studies, n° 3, 2014, p. 191-214. DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-3270-5.
Rykner Arnaud, « Visages en scène : de l’écrin à l’écran pantomimique », in Ligeia, Art et frontalité, scène, peinture, performance, n° 81-82-83-84, janvier-juin 2008, p. 99-104.
Weisberg Gabriel P. « The Divan Japonais. Popular culture in a fin-de-siècle performance space », in European Drama and Performance Studies n° 5, 2015, p. 345-358. DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-4842-3.