Vieille Petite Fille

Vieille Petite Fille est une pièce écrite pour le Festival Lyncéus 2022 sur le thème « Sauvage ».
Elle a été créée à Binic-Étables-sur-mer en juin 2022 par Floriane Comméléran, avec Anthony Audoux (Loup), Laure Blatter (Fille), Édith Proust (Grand-mère).
Elle est aujourd’hui portée par la compagnie Alphageste (Floriane Comméléran) en vue d’une tournée en extérieur et en intérieur.

Résumé

La pièce est un récit d’émancipation qui s’appuie sur un conte bien connu pour mettre au jour les mécanismes d’aliénation entretenus par les femmes. Elle s’ouvre sur un prologue dans lequel le personnage de la Fille tisse à la trame du conte sa filiation féminine pour en exorciser la maladie et la mort. Le premier volet de la pièce retrace les différentes séquences du conte en favorisant les expériences de la Fille et la Grand-mère. Loup y est un garçon malin qui joue à la fois avec la narration et le désir des femmes. Dans le second volet, les trois personnages sont plongés dans la Manche, sur les rivages de la terre où la Mère est née. Elles et ils s’efforcent de se conditionner pour favoriser la réception de toute forme de manifestation de sa présence, et inventent une adresse à cette mère au statut incertain. Cette dernière finalement s’énonce en son nom dans un épilogue comme une montée de lune.

Note de mise en scène : le « sauvage » et la réécriture du conte dans Vieille Petite Fille – par Floriane Comméléran

« Toute mère est sauvage. Sauvage en tant quelle fait le serment, inconsciemment, de garder toujours en elle son enfant. De garder inaltéré le lien qui lunit à son enfant dans cet espace matriciel à laquelle elle- même, petite fut livrée. Ce serment se perpétue ainsi, secrètement, jusqu’à l’étouffement et parfois même le meurtre, si de la différence ne vient pas en ouvrir le cercle, et briser lenchantement. Cest ce serment, que doit rompre lenfant pour devenir lui-même, accéder à sa vérité.»

Anne Dufourmantelle, La Sauvagerie maternelle

Quelle serait alors la sauvagerie de l’enfance ? Quand celle-ci prendrait-elle fin, si tant est qu’elle puisse finir, disparaître totalement ? Le sauvage provient de nos régions profondes et inexplorées de l’inconscient. Il s’immisce sans cesse dans nos vies, dans nos relations, dans nos rêves mais aussi dans nos histoires et nos contes souvent figuré par la présence récurrente de l’animal au- quel l’enfant doit faire face. Le sauvage est cette part indomptable de l’enfance qui resurgit tou- jours, inextricablement reliée au désir, à la pulsion, à la vie, à cette mémoire sous la peau. Les contes racontent ça, comment passe-t-on de l’état sauvage de l’enfance à celui d’adulte civilisé ? L’histoire du Petit Chaperon rouge symbolise ce passage, cette séparation de l’enfance à l’adolescence par l’apprentissage des normes sociales. Le Petit Chaperon rouge fait l’expérience de la socialisation et de la condition féminines à travers une succession de rites de passage enseignés par les femmes.

Si étymologiquement sauvage provient de silvaticus qui signifie la forêt, dans Vieille Petite Fille, Juliette Riedler opère ici une transposition géographique et symbolique vis-à-vis du célèbre conte. On passe librement du lieu de la forêt à celui de la mer, où l’homophonie poétique nous fait très concrètement changer de terrain. Ce qui relevait d’une présence obscure, du caché de la forêt, de l’opacité du désir est rendu ici visible. Il n’en reste pas moins qu’une forme de sauvagerie, celle de l’insoumission, jaillisse du texte avec autant de poésie que d’humour. La sauvagerie est ici contenue dans les liens familiaux, dans la maladie, dans la peur de la répétition, dans la brutalité du désir quand celui-ci ne peut s’exprimer que passivement et dans les injonctions sociétales où séduire rime avec subir. Vieille Petite Fille est le récit d’émancipation d’une jeune femme qui tente de s’affranchir de son destin féminin et familial pour découvrir sa liberté propre afin d’éviter que la dévoration de soi et l’histoire familiale ne se répètent et ne se métastasent dans tous les recoins de son existence. C’est donc l’histoire d’une trajectoire. En ce sens, j’ai choisi de situer l’action dans trois lieux différents et de matérialiser ainsi ce trajet par une déambulation, une itinérance du public. Cette itinérance marque la succession d’étapes et de dé- placements à faire dans le conte, tant physiques que symboliques pour s’extraire des chemins tracés. Parce qu’il est question de ça dans le conte comme dans cette réécriture, de chemins à emprunter et de choix à faire. Quel chemin prendre pour déjouer le conte, pour déjouer ce qui est déjà écrit avant même qu’on ne l’ait véritablement décidé ? Quel serment faire avec soi pour de- venir soi, accéder à sa vérité et ne jamais céder sur son désir ?

Vieille Petite Fille offre à la mise en scène un maniement ludique du registre du conte entre la mécanique du conte avec ses représentations qui s’auto-détruisent à l’intérieur et le renversement du topos d’origine qui se met stratégiquement en place sous la présence complice du public. Ici, tout le monde a un rôle à jouer et à se défaire (ou plutôt à détricoter !). Fille flaire le Loup à des kilomètres et n’est pas dupe de son manège manipulateur de séduction. Elle n’empruntera pas le chemin le plus long que Loup l’incite à prendre, tandis que Loup prendra le chemin le plus long en embarquant avec lui sa jeune meute fraichement formée par le public. Ils et elles se rendront en- semble à la maison de Grand-mère mais avant cela Loup s’amusera à faire vivre quelques péripéties à cette jeune meute domestiquée par ses soins. Grand-mère, loin de l’image attendue autour de la vieillesse, resplendit quant à elle de beauté et sera plus qu’active dans la mascarade de la séduction que Loup croyait pourtant maitriser.

Un jeu et un transfert de rôles où personne ne reste à la place initialement attribuée et où l’héritage culturel est sans cesse mis sur la sellette. Quel serait un rôle sans l’apparat du costume qui vient statuer ce que l’on veut montrer. Une fois de plus, dans cet esprit de détournement des codes et des archétypes du conte, le code couleur change de repère. Chaque personnage en effet possède l’élément chromatique et qualificatif de l’autre : Loup devient blanc comme neige, Grand-mère se pare du rouge vif de la passion et Fille aux allures gothiques s’habille de la tête aux pieds en noir. Personne ne reste assigné.e au conte et unifié.e dans sa valeur d’archétype. Bien au contraire, le glissement vers l’autofiction agit en ceci, comme un vecteur de métamorphose personnelle et réformateur des archétypes sociaux.

Dans Vieille Petite Fille, Fille devient narratrice, metteuse en scène et actrice des scènes qu’elle raconte, aussi bien avalée par elles, tant il est vrai que se rejoue l’histoire chaque fois qu’on la narre… que l’humour est vital, et que l’émancipation est une affaire collective. 

Floriane Comméléran, metteuse en sècne

Le texte est disponible dans le livre collectif Sauvage, publié aux éditions Lyncéus.