Isadora Duncan

Pionnière de la danse moderne et féministe, Isadora Duncan influença de nombreux réformateurs de l’art scénique, d’Edward Gordon Craig à Stanislavski ou Lugné Poe, et pourrait à ce titre figurer dans une histoire du théâtre, des points de vue culturel et de l’invention formelle, à une période où le corps tend à prendre de plus en plus de place dans les partis pris de recherche[1]. Isadora Duncan est une des « grandes figures de l’émancipation des imaginaires, des corporéités, du rapport musical et des espaces construits par le ballet[2] », croyant à l’émancipation des femmes[3]. Son œuvre, au cœur de la modernité esthétique et de multiples influences et héritages, est absolument inscrite dans les enjeux socioculturels contemporains. Elle est ainsi étudiée au travers d’analyses mêlant l’art, l’histoire, les études de genre et la sociologie[4]. Actrice au double sens du terme, créatrice scénique et personne prenant publiquement position sur des questions d’art et d’émancipation, Isadora Duncan mêle ces deux exigences – révolution artistique et sociale – de concert, ce qu’elle défend à travers un discours d’une grande cohérence formelle et théorique. Mal reçue, souvent mal lue, son avant-gardisme est parfois résorbé dans des actes forts (la suppression du tutu et des pointes), et soumis à un « lyrisme féminin » qui la discrédite[5].

Ce que nous pouvons reconstituer des danses d’Isadora Duncan résulte d’un travail de transcription des héritières de sa méthode, en premier lieu de ses filles adoptives, six anciennes élèves de l’école de Grünewald fondée en 1905 – les « Isadorables », du surnom que leur donna le critique français Fernand Divoire. Nadia Chilkovsky, qui publie un livre dans lequel elle transcrit les danses d’Isadora Duncan en labanotation[6], parle de « recovery » ou « reconstruction » : « quant à une authenticité absolue, les danses qu’Isadora interprétait elle-même ont péri avec le décès prématuré de leur créatrice[7] ». Entamé en 1962, son entreprise repose sur le travail de Julia Levien et d’Hortense Kooluris, anciennes élèves d’Irma Duncan, et sur une transmission plus directe d’Anna Duncan auprès de l’autrice. Le répertoire qu’elle met au jour ne recense en outre que les danses reprises par ses élèves, laissant à l’histoire celles que la danseuse ne transmit pas. De plus, la carrière de la danseuse étant internationale, il est difficile de savoir quelles danses étaient présentées, car les programmes sur lesquels nous pouvons mettre la main ne les mentionnent pas. Si l’on ajoute à cela l’improvisation constitutive de la danse duncanienne, le répertoire des danses d’Isadora Duncan est nécessairement parcellaire ; il n’est pas possible d’établir de liste exhaustive de ses danses.

[1] Nous renvoyons notamment à la création de laboratoires de recherche spécifiques, comme « Le laboratoire du geste » (http://www.laboratoiredugeste.com/), l’Institut ACTES, de l’université Paris Sorbonne, qui « a pour thématique générale de recherche la création » (https://institut-acte.univ-paris1.fr/), les parutions des numéros de la revue Études Théâtrales n°47-48 et n°9, « Théâtre et danse. Un croisement moderne et contemporain », 2 volumes, 2010 ; n°66, « Corps parlants, corps vivants. Réponses littéraires et théâtrales aux mutations contemporaines du corps », 2017.

[2] Mélanie Papin, 1968-1981 : Construction et identités du champ chorégraphique contemporain en France. Désirs, tensions et contradictions (vol. 1), thèse en esthétique, science et technologie des Arts spécialité Danse, dirigée par Isabelle Launay, université Paris 8, 2017, p. 58.

[3] Isadora Duncan, La danse de l’avenir, op. cit.

[4] Jérémy Damian, Intériorités/Sensations/Consciences : sociologie des expérimentations somatiques du Contact Improvisation et du Body-Mind Centering, thèse en sociologie, dirigée par Florent Gaudez et Vinciane Despret, université de Grenoble, 2014 ; Boivineau Pauline, Danse contemporaine, genre et féminisme en France (1968-2015), thèse en histoire, dirigée par Christine Bard, université d’Angers, 2015.

[5] Cf. Hélène Marquié, Histoire et esthétique de la danse de ballet au XIXe siècle. Quelques aspects au prisme du genre, féminisation du ballet et stigmatisation des danseurs, Mémoire pour obtenir l’Habilitation à Diriger des Recherches, université Nice Sophia Antipolis, 2014, p. 37-38.

[6] Rudolf Laban est un danseur, pédagogue et théoricien de la danse qui développa une méthode de notation du mouvement dansé qui prit son nom, la « labanotation ».

[7] Morceau, sur une proposition de Loïc Touzé, conception et réalisation Latifa Laâbissi, Jennifer Lacey, Yves-Noël Genod, Loïc Touzé, création le 21 septembre 2000 au Théâtre du Vieux Saint-Étienne, Rennes ; cité par Laetitia Doat, Voir une danse. Décrire et interpréter Isadora Duncan, thèse en danse, Isabelle Launay (dir.), université Paris 8, 2013, p. 201.

Bibliographie, si succinte…

  • Sources directes

Isadora danse la révolution, Monaco, du Rocher, coll. « Anatolia », 2002.

Ma vie, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1927.

Écrits sur la danse, Paris, Grenier, 1927.

La danse de l’avenir, textes choisis et traduits par Sonia Schoonejans, Paris, Complexe, coll. « Territoires de la danse », 2003.

« Your Isadora »: the love story of Isadora Duncan and Gordon Craig, edited with a connecting text by Francis Steegmuller, New York, Random House, 1974.

  •  Sources indirectes

Arnaud Angélique, François Delsarte : sa méthode, ses découvertes en esthétique, Paris, Delagrave, 1882.

Carrière Eugène, Ecrits et Lettres choisis, Paris, Mercure de France, 1927.

Colette, Paysages et portraits [1958], Paris, Flammarion, 2002.

Craig Edward-Gordon, De l’art du théâtre, Paris, Lieutier, 1951 ; Ma vie d’homme de théâtre, Grenoble, Arthaud, coll. « Clefs du savoir, clefs de l’aventure », 1962 ; On movement and dance, London, Dance books, 1978.

Divoire Fernand, Isadora Duncan, fille de Prométhée, proses de Fernand Divoire, décorées par E.-A. Bourdelle, Paris, éditions des Muses françaises, 1919.

Divoire Fernand, Dessins sur les danses d’Isadora Duncan par André Dunoyer de Segonzac précédés de La danseuse de Diane, Paris, À la Belle édition, 1910-1920.

Duncan Irma, Duncan dancer, an autobiography by Irma Duncan, Wesleyan University press, Middletown (Conn.), 1966 ; The technique of Isadora Duncan, New York, Dance Horizons, [s.d.].

Faure Elie, L’Homme et la danse, Périgueux, Fonlac, 1975.

Genthe Arnold, As I remember [1937], New York, Arno Press, 1979.

Gsell Paul, L’Art – entretiens avec Rodin, Paris, Grasset, 1951.

Levinson André, La danse au Théâtre. Esthétique et actualité mêlées, Paris, Librairie Bloud & Gay, 1924 ; La danse d’aujourd’hui : 400 photographies, Paris, Duchartre, Van Buggenhoudt, 1929.

Soupault Philippe, Terpsichore, Paris, Emile Hazan, 1928.

  • Ressources critiques

Allard Odette, Isadora Duncan, la danseuse aux pieds nus, ou La révolution isadorienne: d’Isadora Duncan à Malkovsky, Paris, Écrivains associés, 1997.

Basdevant Denise, Bourdelle et le Théâtre des Champs-Elysées, Paris, Chêne, Hachette, 1982.

Belgodere Jeannine, « Les aspects modernistes et gracieux de l’esthétique chorégraphique d’Isadora Duncan », Ligeia, n°85-88, 2008, p. 5-13.

Blair Fredrika, Isadora, portrait of the artist as a woman, New York, St Louis, Paris, McGraw-Hill, 1985.

Bruyant Anne-Marie, La danse libre. Sur les traces d’Isadora Duncan et François Malkovsky, Toulouse, Ch. Rolland, 2012.

Chilkovsky Nahumck Nadia, Isadora Duncan: the dances, Washington, The National museum of women in the arts, 1994.

Daly Ann, Critical gestures: writings on dance and culture, Wesleyan University press, Middletown, Conn., 2002 ; Done into dance, Isadora Duncan in America, Wesleyan University Press, Middletown (Conn.), 2002.

Doat Laetitia, Voir une danse. Décrire et interpreter Isadora Duncan, thèse en esthétique, science et technologie des arts, spécialité danse, dirigée par Isabelle Launay, Université Paris 8, 2013.

Laffon Juliette, Pinet Hélène (dir.), Isadora Duncan, une sculpture vivante, Paris, Paris Musée, 2009.

Lamothe Kimerer, Nietzsche’s dancers : Isadora Duncan, Martha Graham, and the revaluation of christian values, New York, Palgrave Macmillan, 2006.

Lever Maurice, Isadora, Paris, Presses de la Renaissance, 1986.

Loewenthal Lillian, The search for Isadora: the legend and legacy of Isadora Duncan, Dance horizons book, Princeton book company, Pennington (N.J.), 1993.

Macdougall Allan Ross, Isadora, a revolutionary in art and love, Edinburgh, New York, Toronto, T. Nelson & Sons, 1960.

Rousier Claire (dir.), Grandjouan dessine Duncan : exposition, Pantin, Centre national de la danse, 8 avril-24 juin 2005, Pantin, Centre national de la danse, 2005.

Pruett Diane Milhan, A study of the Relationship of Isadora Duncan to the Musical Composers and Mentors who influenced her musical selections for Choreography, The University of Wisconsin – Madison, 1978.

Splatt Cynthia, Life into art, Isadora Duncan and her world, ed. by, Dorée Duncan, Carol Pratl and Cynthia Splatt ; foreword by Agnes De Mille, New York, London, W. W. Norton, 1993.

Schwartz Élisabeth, Les plis du temps, captation vidéo, Pantin, Centre National de la Danse, 2005.

Schwartz-Rémy Élisabeth, Ne rien inventer en art : paradoxes autour de la danse d’Isadora Duncan, thèse en Arts du spectacle, dirigée par Claude Jamais, Université Lille 3, 2014.

Walkowitz Abraham, Isadora Duncan in her dances, Haldeman-Julius publications, Kansas, 1945.