Colette

Surtout célèbre comme autrice, journaliste, voire marchande de parfum[1], la carrière de mime de Colette imprime un tournant à sa trajectoire[2] et marque son geste d’écrivaine[3]. Elle situe aussi l’actrice dans le temps long de l’histoire de l’art scénique. Aux origines de l’art de l’interprète, la pantomime est exercée en Grèce antique[4], elle revêt « différentes expressions nationales et relève de différentes aires culturelles[5] ». Elle connaît à la Belle Époque un regain d’intérêt, en relation avec l’inquiétude contemporaine portant sur les capacités du langage verbal à exprimer l’intériorité et rendre sensible l’invisible. Pour Jean Richepin, la pantomime est « l’art dramatique supérieur, absolu, débarrassé de la parole qui met des lisière au génie du comédien[6] », et Arnaud Ryckner tend à prouver qu’« au cœur de multiples pratiques spectaculaire », elle désigne « paradoxalement un certain envers du théâtre », contraignant « ce dernier à articuler texte et hors-texte, logique discursive et logique iconique[7] ». Le déplacement du théâtre du côté du non-verbal et du geste par la pantomime nous intéresse, qui établit une étrange parenté avec l’histoire des femmes, toile de fond silencieuse et agissante.
Reconnue comme une des plus grandes mimes de son époque[8], travaillant avec Georges Wague, lui-même considéré comme rénovateur de l’art mimique[9], Colette se distingue dans un certain nombre de pantomimes souvent réglées par son maître, partenaire et ami, en collaboration avec de nombreux metteurs en scène et compositeurs parmi lesquels Antonin Lugné Poe pour Pan (1906) de Charles Van Lerberghe, Francis de Croisset et Jean Nouguès dans Le Désir, la Chimère et l’Amour (1906), Léon Lambert et Albert Chantrier pour l’éclatant succès de La Chair (1908). Comptons aussi la fantaisie de La Chatte amoureuse (1912), dont la musique est composée par Roger Guttinger, qui ravit les spectateurs de la revue Ça grise, au Ba-Ta-Clan. Ces quatre pantomimes, qui signent le début et la fin de sa carrière de mime, peuvent être retenues pour leur caractère divers du point de vue des personnages interprétés par l’actrice : jeune fille ingénue découvrant puis prônant l’amour sensuel dans Pan, faune rusé et joué dans Le Désir, la Chimère et l’Amour, femme maîtresse de son désir et sauvée par la beauté de son corps dans La Chair, enfin chatte amoureuse dans la pièce éponyme. Le caractère initiatique[10] sans doute de l’expérience du jeu mimique, de la tournée en France et dans les pays francophones limitrophes, n’entame en rien le caractère professionnel et professionnalisant de cette période, ni la valeur artistique du geste mimique de Colette.
[1] Gérard Bonal et Frédéric Maget (dir.), Colette, Paris, L’Herne, coll. « Cahiers de l’Herne », 2011 ; Guy Ducrey et Jacques Dupont (dir.), Dictionnaire Colette, Paris, Classiques Garnier, coll. « Dictionnaires et synthèses », 2018.
[2] Claude Pichois, « Introduction », Colette, Œuvres, t. 1, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1984.
[3] Guy Ducrey, Tout pour les yeux, op. cit.
[4] Marie-Hélène Garelli-François, Danser le mythe : la pantomime et sa réception dans la culture antique, Louvain, Paris, Dudley, Peeters, coll. « Bibliothèque d’études classiques », 2007 ; Brigitte Le Guen et Silvia Milanezi (dir.) L’appareil scénique dans les spectacles de l’Antiquité, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, coll. « Théâtres du monde », 2013.
[5] Arnaud Ryckner, « Introduction. Un art des origines », Pantomime et théâtre du corps, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Le Spectaculaire », 2009, p. 9.
[6] Jean Richepin, Braves Gens, Paris, M. Dreyfous, 1886, p. 62 ; cité par Arnaud Ryckner, « Introduction », in op. cit.
[7] Arnaud Ryckner, « Introduction », in op. cit., p. 9-10.
[8] Claude et Vincenette Pichois, Album Colette, iconographie choisie et commentée par Claude et Vincenette Pichois, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1984.
[9] Tristan Rémy, Georges Wague : le mime de la Belle époque, Paris, Georges Girard, 1964
[10] Claude Pichois, « Introduction », Colette, Œuvres, t. 1, op. cit.
Bibliographie succintissime
- Sources directes
(Elles touchent aux écrits de Colette concernant sa vie et son expérience du music-hall.)
Claudine à L’École [1900], Claudine à Paris [1901], Claudine en ménage [1902], Claudine s’en va [1903], Dialogues de bêtes [1904], La Retraite Sentimentale [1907], Les Vrilles de la vigne [1908], La Vagabonde [1910], in Œuvres I, Claude Pichois (dir.), avec la collaboration d’Alain Brunet, Léon Delanoë, Paul D’Hollander, Jacques Frugier, Michel Mercier, Madeleine Raaphorst-Rousseau, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1984.
L’Envers du music-hall [1913], in Œuvres II, Claude Pichois (dir.), avec la collaboration de Bernard Bray, Alain Brunet, Maurice Delcroix, Jacques Dupont, Jacques Frugier, Michel Mercier, Madeleine Raaphorst-Rousseau et Yannick Resch, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1986.
Mes apprentissages [1936], in Œuvres III, Claude Pichois (dir.) avec la collaboration de Marie-Christine Bellosta, Alain Brunet, Léon Delanoë, Maurice Delcroix, Jacques Dupont, Jacques Frugier, Michel Mercier, Christiane Milner et Yannick Resch, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1991.
La Jumelle noire [1934-1938], Paris, Fayard, 1991.
Lettres à Marguerite Moreno, texte établi et annoté par Claude Pichois, Paris, Flammarion, 1959.
Lettres à Missy, édition établie, préfacée et annotée par Samia Bordji et Frédéric Maget, Paris, Flammarion, 2009.
Lettres à ses pairs, texte établi et annoté par Claude Pichois et Roberte Forbin, Paris, Flammarion, 1973.
Lettres de la Vagabonde, texte établi et annoté par Claude Pichois et Roberte Forbin, Paris, Flammarion, 1961.
Paysages et portraits, textes établis, présentés et annotés par Marie-Françoise Berthu-Courtivron, Paris, Flammarion, 2002.
- Sources indirectes
Rémy Tristan, Georges Wague : le mime de la Belle époque, Paris, G. Girard, 1964.
Sido, Lettres à Colette, Paris, Phébus, 2012.
Wague Georges, Le Mime Georges Wague. La Pantomime moderne, Paris, Éditions de l’Université populaire, 1913.
- Ressources critiques
Bona Dominique Colette et les siennes, Paris, Grasset, 2017
Bonal Gérard, Colette. « Je veux faire ce que je veux », Paris, Perrin, 2014.
Bonal Gérard, Maget Frédéric (dir.), Cahier Colette, Paris, Les Cahiers de L’Herne, 2011.
Brunet Alain, Pichois Claude, Colette, Paris, Fallois, 1999.
Ducrey Guy et Dupont Jacques (dir.), Dictionnaire Colette, Paris, Classiques Garnier, 2018.
Dugast-Portes Francine, Berthu-Courtivron Marie-Françoise, Passion Colette. Ambivalences et paradoxes, Paris, Textuel, 2004.
Dupont Jacques, Physique de Colette, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2003.
Kristeva Julia, Le Génie féminin, t. 3, Colette, Paris, Gallimard, 2002.
Michineau Stéphanie, L’autofiction dans l’œuvre de Colette, Publibook, coll. « EPU », 2008.
Pichois Claude et Pichois Vincenette, Album Colette, Paris, Gallimard, 1984.
Pommier Chantal, Georges Sand et Colette : Musique et Théâtre, t. 3, Paris, Calabretto, 2010.
Resch Yannick, Ecrire / Danser la vie, Colette et Isadora, Paris, L’Harmattan, coll. « Amarante », 2014.
Rico Josette, Colette ou le désir entravé, Paris, L’Harmattan, 2004.
Sarde Michèle, Colette libre et entravée, Paris, Stock, 1978.
Stewart Mary Lynn, For Health and Beauty. Physical Culture for Frenchwomen, 1880s-1930s, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2001.
Thurman Judith, Secrets de la chair, Une vie de Colette, Paris, Calman-Levy, 2002.
Tilburg Patricia, Colette’s Republic Work, Gender, and Popular Culture in France, 1870-1914, New-York/Oxford, Berghahn Books, 2009.
Virmaux Alain, Virmaux Odette, Brunet Alain, Colette et le Cinéma, Paris, Fayard, 2004.
Principaux médias consultés
Bellon Yannick, Colette, Paris, Bibliothèque publique d’information, 2010, 29 minutes.
Bonal Gérard, Ducrey Guy, Maget Frédéric, Martin Bénédicte, Resch Yannick, « Colette », Une vie, une œuvre, Matthieu Garrigou-Lagrange (prod.) France Culture, 18 février 2012, 58 minutes.
Denjean Cécile (réal), Colette, l’insoumise, Arte France, 2017, 53 minutes.
Tréfouël Jacques (réal.), J’appartiens à un pays que j’ai quitté, Les films du lieu-dit, 2007, 75 minutes.