Ainsi connu proche et aimé
(Lettres à Jean-Loup Rivière)

Texte et mise en scène Juliette Riedler
avec Juliette Séjourné
En partenariat avec Festival Remue, Compagnie La Hutte, Le Relais Pantin, l’Université Paris 8, Festival Existence, la Librairie o. (Rond-Point)
Crédits photo Suzanne Rault-Balet
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Résumé
Juliette est en thèse, son directeur de recherche soudainement disparait. Elle lui adresse alors, dès l’annonce de sa mort jusqu’au moment de son enterrement, une dizaine de lettres dans lesquelles elle explore les liens qui l’attachent à cet homme. Ces lettres d’amour et de deuil sont mues par un espoir fou, utopique et désespéré, de rendre à chacun·e sa place dans la relation, et de chercher à inventer son désir de femme et d’écrivaine.

Vous le saviez peut-être, comme j’aime pleurer, comme cela me donne la sensation d’exister pour quelqu’un qui n’est plus ?
Parti pris d’interprétation
Il est, comme le dispositif scénique, simple. Il s’agit de permettre au public de se projeter dans l’espace physique et psychique décrit par le texte, donc d’y porter une attention toute particulière, et suivre les volutes imaginatives qu’il déploie. Ce texte est devenu un solo pour une actrice.
Perspective d’espace scénique
le plateau est nu, proche du bord de scène. Il est balisé par un rectangle lumineux. Au centre, face public, est placé un petit bureau d’écolière avec une liasse de feuilles, une carafe et un verre d’eau. Légèrement à cour, proche de l’avant-scène, un pupitre. Symétriquement à jardin, un piano droit.
Perspective sonore
Nous cherchons à « faire du théâtre sans les moyens de l’opéra ». Les deux arts se mélangent dans une nudité qui n’a rien à voir avec une forme musicale prédéterminée ou labellisée. Des éléments plastiques « pauvres » accompagnent une grande richesse vocale qui traduit les différents états mentaux de la locutrice. L’ondoyance imaginaire du texte est traduite par une palette de couleurs vocales de l’actrice en scène.
Un extrait de l’Elisir d’amore de Donizetti guide la voix chantée. Nous avons travaillé à partir du célèbre air « Una furtiva lagrima » interprété par Rolando Villazòn : écouté, réinterprété, adapté puis recomposé au fil du jeu.
La voix de l’actrice est amplifiée par un micro sur pied posé à proximité du bureau, parfois a capella, parfois non amplifiée. Dans ce début de travail, le piano est une sorte de promontoire pour s’adresser au défunt et prolonger le dialogue. Le premier mouvement de la cinquième sonate de Beethoven se fond ensuite dans une berceuse improvisée.
Texte. Extrait
Cher Jean-Loup je vous glorifie ; vous êtes sans haine, portez la tête haute, savez accueillir vraiment et j’ai rétrospectivement honte des moments de folie où, à la fin de la journée « Connaître le bonheur », à Lyon, vous expliquiez à table comment préparer du saumon gravelax, je demandais si on pouvait le faire avec un autre poisson ; quand, encore, j’étais chez vous tétanisée par l’espace que vous me laissiez, que je ne savais ni prendre ni habiter. Je me suis souvent sentie diminuée chez vous, le deviniez-vous ? Cela faisait ressortir mon désir de puissance et mon inconsistance faite de tensions. Oui, « tendue comme un string », comme nous disions au collège, tendue je l’étais d’aller chez vous et une fois assise, inquiète de vos retours, désirant énormément que vous soyez à ma place, que vous soyez moi, que je puisse happer vos sagesse et savoir, aspirée par vous comme par la vie et mon désarroi – mes bras attendant que vous me preniez dans les vôtres et me disiez « ça n’est pas grave, Juliette, tu vas y arriver », et vous me bercez comme cela longtemps et je m’endors dans vos bras et sur votre ventre rond et confortable et chaud, environnée de fumée sentant la cannelle et le chocolat amer. Je suis bien là, sous votre menton et sur votre ventre, pelotonnée. Vous me protégez, vous êtes diablement présent, calme et réconfortant. Il n’y a pas de bruit hormis votre stylo plume sur une feuille, une page que vous tournez, ou celui de l’ordinateur dont la lumière de l’écran sert de veilleuse. Oh Jean-Loup je resterai bien là hors du monde endormie, dans votre antre confortable de sagesse et d’amour.
Mais je n’y étais pas Jean-Loup, dans vos bras sur votre ventre, pourtant j’y étais – le deviniez-vous ? – sans le savoir – fallait-il que vous mourriez ? Non. Je suis encore en train de mûrir trop vite et de ressembler à une vieille petite fleur des prés à peine née. Je suis tout contre vous à présent… mais non je ne dois pas l’être puisque même ma thèse, je vous trompais avec ma thèse Jean-Loup. C’est ma thèse que j’écris et non votre idée sur l’hystérie.

Biographie de Juliette Séjourné
Juliette Séjourné est chanteuse lyrique, danseuse, actrice et metteuse en scène, diplômée du CNSAD et de l’ENS Cachan. Elle joue récemment sous la direction de Tarek Haoudy & Simon Bonanni pour Copiétons, court métrage sélectionné au Festival international de Valence 2020, et avec Marielle Chabal pour AlQamar au Palais de Tokyo. Elle assiste Benjamin Lazar dans la mise en scène de Traviata, vous méritez un meilleur avenir, aux Bouffes du Nord puis en tournée, de 2016 à 2019, spectacle pour lequel elle devient interprète en 2018, dans le rôle de Flora. Elle chante en concert pour La Nuit de la Poésie et La Fête de la Langue Arabe à l’Institut du monde arabe et à La Colline. Au printemps 2021, elle rejoint le Théâtre de la Ville dans le cadre les consultations scientifiques & poétiques. En création, elle s’interroge sur la question du « self-talk » (ou dialogue intérieur), et de son expression. Cette notion traverse les dramaturgies de ses premiers travaux pluridisciplinaires, et l’invite à se former à l’IRCAM en création sonore.